20 février 2018, soirée à la librairie Tonnet à Pau, présentation du recueil « Nouvelles du Rio de la PLata »
Introduction de la soirée par Benoît Larradet :
Adishatz, bonsoir, buenas tardes,
Merci à la librairie Tonnet qui a permis à notre association de faire cette présentation. Notre association, Bearn-Argentina, a pour président Bernard Cazenave, et j’en suis le secrétaire.
Au XIXe siècle a eu lieu un important mouvement migratoire vers les Amériques (entre autres destinations l’Argentine), qui a concerné plusieurs dizaines de milliers de Béarnais. Notre association s’est bâtie sur les liens entre les Béarnais émigrés dans les pays du Río de la Plata et leurs proches restés au pays.
L’ÉCRIT DANS CETTE HISTOIRE
C’est par l’écrit que ces liens se sont exprimés : des lettres, échanges plus ou moins réguliers, plus ou moins attendus, plus ou moins désirés, souvent terminés à la mort des parents, surtout de la mère.
Par ces écrits, beaucoup d’entre nous ont pris conscience que la France n’est pas uniquement un pays d’accueil mais est et a été une terre d’exil. Le livre d’Ariane Bruneton et Jacques Staes, Cher père et tendre mère, en témoigne ainsi que Dus mots de letras, spectacle musical réalisé en partie à partir des documents contenus dans ce livre.
Les écrits, devenus aujourd’hui souvent rapides et éphémères, par fax puis par mail, ont permis de reconstruire des liens plus ou moins oubliés, plus ou moins rompus (retrouvailles familiales, voyages, échanges universitaires et culturels). Le film « Lo que me contó abuelito », réalisé par Agnès Lanusse et Dominique Gautier, est témoin également de cette mémoire toujours vivante.
La crise argentine n’a pas rompu nos liens et la solidarité s’est maintenue avec l’Hospital materno-infantil de Mar del Plata et la Casa Rafaël à Buenos Aires.
Aujourd’hui, c’est par écrit que des mails nous arrivent avec des demandes, des liens vers un nouveau public (aides pour des jeunes étudiants et stagiaires).
C’est l’écrit qui a permis aux émigrés de garder le contact avec la famille, c’est l’abandon de l’écrit qui a marqué les « oublis », les ruptures. C’est par l’écrit que les liens se sont reconstruits. Nous avons fêté nos vingt ans par de nombreuses manifestations et dans ce cadre, l’écrit devait être mis à l’honneur.
Proposition a été faite à tous ceux qui le souhaitaient d’écrire une nouvelle de six pages maximum en occitan, français ou castillan. Le thème : l’émigration des Pays Pyrénéens vers le Río de la PLata. Ce sont ces nouvelles que nous avons publiées dans le recueil que nous présentons ce soir
LES NOUVELLES
13 nouvelles nous sont parvenues : 6 d’Argentins et 7 de Français.
La langue utilisée : La moitié des 6 argentins a écrit en français et la moitié en castillan. 3 des 7 auteurs français ont écrit en français, 1 en occitan et 3 ont présenté des textes où les langues se mélangent (1 occitan/français, 1 occitan/castillan/français et un castillan/français). Ce choix est abordé dans quelques textes « Et puis dans quelle langue écrire ? Dans ma langue maternelle ? Dans celle de mes ancêtres ? » se demande Lilian Tauzy de Bragado qui finalement écrit en français. Pablo Julián Allende ne pose pas la question mais le fait que l’ensemble de son texte soit en castillan et les titres de paragraphes en français n’est pas dû au hasard, puisque, en réponse à notre question avant l’édition, il a insisté pour garder les deux langues. Pour Philippine Palomares il s’agit aussi d’un choix stylistique fondé quand elle écrit « Abuelita, as-tu entendu ? Ce chant de nos deux langues entremêlées, la tienne, la mienne quand le vent s’engouffre par la Brèche de Roland. »
Les thèmes semblent directement inspirés par la propre histoire des auteurs. Parfois c’est dit directement : « Dans ces pages je voudrais parler de ma famille aux origines béarnaises » écrit Francisco Macias Baron de Bragado en introduction à son texte. « En écrivant sur ce sujet, peut-être pourrais-je reconstituer la mémoire du temps qui a précédé ma naissance, et essayer de tisser les fils secrets de l’histoire de cet immigrant béarnais : mon grand-père paternel. » note Lilian Tauzy comme une justification à l’écriture. Alain Abadie précise « Si me lancèi dens lo chantier aqueth, d’ua mira personau, intime, l’enjòc èra tà jo de trobar un ligam uman, viu, dab los mens arraditz, saber si aurè cosins luenhècs per delà la mar grana. ». Quant à Philippine Palomares, elle conclut : « De mon arrière-grand-mère à ma fille, je veux être lien, un petit point cousu à leur toile sur le fil de la vie ». Pour d’autres, on a plus de mal à départager la part d’imagination et la part de réalité. De nombreux débats ont eu lieu au conseil d’administration de l’association sur la réalité des évènements rapportés, mais finalement nous avons conclu que, récits historiques ou romans familiaux, peu nous importait. Comme dans le film Lo que me contó abuelito, la vision du vécu, la version transmise familialement était tout aussi intéressante pour nous que la vérité historique.
Dans ces textes est clairement revendiquée une solidarité entre les Béarnais, que ce soit entre ceux qui sont installés en Argentine ou entre eux et leur famille restée au pays « Tot mes o totun lo mei possible Pedro que va per Bahia Blanca tà enviar un mandat tà que la soa famila bearnesa aja quate sòus mei ». Alain Abadie raconte dans sa nouvelle « Lo Jacques avè viscut a la nouvelle Orleans dab bona situacion çò qui lo permetè d’enviar a còps drin de moneda per casa ». Mais on ne tombe pas pour autant dans des relations idéalisées. Alain Abadie raconte le souvenir de ses oncles, tante et père parlant « de las carronhas d’America ».
La tonalité générale des textes est triste, nostalgique, rendant compte de vies difficiles. Au moment du départ du bateau qui quitte le quai, Vincent, le personnage de Beròja, écrite par Daniel Bourrouilh, « fut pris non pas d’un doute mais d’une subite douleur : est-ce lui qui partait ou sa famille et son pays qui l’envoyaient de l’autre côté de la Mar Grana, de l’Atlantique, comme il l’avait appris à l’école au-dessus de la halle de Lucq ? », et Maryse Esterle écrit en concluant son texte : « L’émigration c’est ça, on quitte ceux qu’on aime pour en connaître d’autres qui ne comblent pas le vide, et quand on retrouve les premiers, ce sont les seconds qui manquent. On n’a jamais tous ceux qu’on aime à proximité, il manque toujours quelqu’un d’essentiel. On laisse quelque chose ailleurs, on est d’ici et de là-bas ». Parfois, la volonté claire d’oublier le pays est présente aussi à l’arrivée à Buenos Aires. Pèir/Pedro, le personnage central du texte de Joan Pèir Darrigrand, répond à l’un de ses frères venu le chercher au port et qui lui demande des nouvelles du pays : « Vam ne’m vas totun pas copar lo cap dab lo Bearn ; Si soi aciu arribat qu’ei pr ‘amor deu deishar on ei dab las soas miserias e lo manca d’aviéner. ». Une installation heureuse de l’autre côté de l’Atlantique est aussi évoquée parfois. Les jeunes du Collègi Calandreta font dire à leurs personnages : « Tous ces gens, ces Béarnais qui arrivent de leur pays, débarquent de toutes parts, contents d’arriver sur cette terre de prospérité, comme ils l’appellent. Terre où ils vont avoir une nouvelle vie. Le mélange de tristesse et de bonheur que nous procure ce moment… fantastique ». Sophie Bourrouilh conclut sa nouvelle par ces mots : « (…) le rêve fut toujours le moteur de leur vie, celui qui les poussa à changer de continent, à travailler dans un milieu hostile mais à la fois ils se rendirent compte de la beauté de ce qui est étranger et bénirent le rêve argentin (…), s’ils ne trouvèrent pas le pot d’or de l’autre côté de l’arc-en-ciel, ils se réjouirent de ce que leur apporta leur voyage à travers toutes les couleurs de la vie ».
Le règlement de notre concours spécifiait que les œuvres des primés seraient éditées. Il nous a donc fallu choisir des jurés reconnus, le plus souvent des personnes déjà bien occupées à qui nous avons ajouté un peu de charge supplémentaire et qui ont accepté avec grand cœur. Qu’elles soient ici remerciées. Leur travail ne fut pas simple, plusieurs textes étant bien difficiles à départager, nous ont-ils dit. La décision a dû être finalement prise et nous félicitons donc les auteurs primés. Au moment des choix éditoriaux, les débats nourris dans notre CA ont repris et nous avons finalement publié l’ensemble des textes. Merci donc à tous les participants !
Depuis 20 ans, notre association a accumulé des compétences mais nous n’avions encore jamais assumé la publication d’un livre et nous tenions tout de même à viser une qualité sérieuse. Nous avons donc eu recours au professionnalisme de Maria Javaloyés, grâce à qui nous avons pu découvrir sans trop de difficultés le cheminement à suivre.
Et nous voilà à l’heure de la diffusion. Pour aussi fiers que nous soyons de notre bébé, nous n’en sommes pas moins conscients de ses limites et nous nous demandions quel serait l’accueil que nous réserveraient les professionnels. Ici encore nous avons à remercier les libraires pour leur accueil. Alors il reste la publicité à faire à ce recueil et pour ça nous vous faisons confiance ! Merci d’être venus !